Atelier de recherche temporelle
La renaissance amena le désir d'établir une cohérence métrique dans la perception même de la ville par le biais de la géométrie. La course chaotique du réel devait ployer devant la rationalité du déterminisme, la perspective était née. Outil d'un caractère proprement architectural, elle démontrait que la dimension apparente des objets distribués dans l'espace obéissait à un « ratio » constant. Cette tentative de représentation concrète de l'espace à partir d'un point d'observation défini amena une vision homogène du paysage urbain dans l'instant du dessin ou du tableau. Implicitement elle véhiculait la vision d'un temps cohérent, uniforme et invariant.
Le premier prototype connu de dessin perspectif connu est attribué à Brunelleschi. De très petite dimension, il s'agissait d'un tableau de bois peint représentant le temple de San-Giovanni en face de la cathédrale de Florence. Devant l'impossibilité de représenter les nuages présents dans la scène, « corps sans surface », excédant à priori les moyens de la perspective linéaire, Brunelleschi résolut de passer cette partie du tableau à l'argent bruni afin que l'observateur manipulant l'objet puisse y inscrire le reflet des nuages réels. Le tableau démontrait une discontinuité entre ce qui pouvait être modélisé suivant les moyens géométriques purs et ce fond non maîtrisé. Cette expérience, devrait nous apparaître comme l'archétype de la résistance de ce qui est mouvant, de l'expression la durée palpable, à toute tentation uniformisante.
Face à cette contradiction, le temps pris comme paramètre géométrique fut le seul toléré. Nous avons ramené le divers et le changeant dans l'écoulement serein d'un système généralisé et unifié. Au long de son histoire récente, le jeu architectural, fier de sa connaissance du monde prévisible, permis l'avènement d'un système décontextualisé et reproductible aussi bien dans ses formes que dans son mode de développement. Bannissant la variation, l'état figé était la règle rassurante d'un monde supposé définitivement moderne. On promut les invariants et comme la complexité du changeant n'était pas intégrable à la théorie, elle était immédiatement exclue au profit de l'instantanéité.
A condition d'établir le système comme définitif, les règles étaient parfaites : l'arithmétique précisait l'objectif, la géométrie la forme. Système idéologique décomposable, l'espace prenait l'ascendant sur le lieu, la ville devenait une composition abstraite fondée sur la hiérarchie des échelles". Sa simplicité myope lui promettait un avenir radieux où le mimétisme d'une vision commune introduisait tout développement dans une continuité. A la logique de la table rase répondait l'émergence définitive d'une culture moderne. Mais peut-être avait-on oublié de penser à la singularité, à l’«hors-norme». Force est de constater que les ensembles urbains sont mis hors-sol, que l'hégémonie du « temps-paramètre » a fait naître des villes abstraites sans représentation géographique certaine, organisées suivant des territoires isochrones. Sans nous en rendre compte, nous avons fabriqué de l'hégémonie temporelle et du délaissé spatial.
La situation semble irréversible. A l'écoute des villes anciennes aux formes multiples et hétérogènes nous ressentons le délai naturel nécessaire pour atteindre une maturité urbaine. Mais force est de constater que devant l'accroissement urbain ultra-rapide, nous ne disposons plus de temps pour fabriquer la ville. La ville moderne, pragmatique, réticulée, capable d'extension uniforme ne suffit plus à engendrer la lente maturation de son système, elle s'arc-boute sur le temps. La collaboration a laissé place à la confrontation et la ville moderne procède désormais du télescopage temporel.
Crédit photographique Stéphanie BARBON